
“Il sait qu’il a fait une bêtise.”
J’entends cette phrase assez souvent lors de mes études de comportement, généralement suivie de “il fait sa tête de coupable”.
Cet article fait suite à un précédent article nommé “Non ne veut rien dire” dans lequel nous avions vu que disputer son chien ou lui crier “non” n’arrangeait pas vraiment les mauvais comportements.
Aujourd’hui, nous allons nous demander pourquoi, malgré le fait que le chien ne comprenne pas pourquoi il se fait disputer, il fait tout de même une “tête de coupable” (notez bien la présence des guillemets).

Avant toute chose, il faut savoir que votre chien n’a pas la notion d’avoir fait une bêtise. Sa morale est différente de la notre alors comment pourrait-il faire la différence entre le bien et le mal de notre point de vue ? La moralité dépend de chaque personne, de sa culture et de son vécu, alors comment une espèce aussi différente de la notre pourrait-elle partager nos valeurs ?
Pour un chien, faire ses besoins à l’intérieur n’est pas mal en soi, c’est juste… Faire ses besoins en intérieur, point. Tout comme manger une pantoufle ou piquer un bout de gâteau. C’est devant lui, à disposition et Médor est un animal opportuniste : Si l’action lui apporte du plaisir ou soulage un besoin, il va avoir tendance à recommencer.
Une bêtise de notre point de vue est donc un comportement tout à fait normal pour le chien. Il ne s’agit que d’une action, la valeur “bien ou mal” c’est nous qui l’apposons dessus.

Mais revenons à notre “tête de coupable”. Cela fait plus de 15 000 ans que les chiens vivent à nos côtés. Durant ces millénaires, ils ont été sélectionnés pour leurs aptitudes de travail (chasse, poursuite, garde…) mais aussi sur leur pure apparence physique.
Les chiens sont devenus de plus en plus expressifs : Une étude a démontré qu’un muscle supplémentaire s’est développé au dessus de l’œil du chien durant sa domestication (lien en commentaire). Ce muscle, inexistant chez le loup, permet à Médor de soulever beaucoup plus intensément ses sourcils et donc, inconsciemment mais sélectionné par l’Homme, d’être plus attendrissant. La capacité de pouvoir faire une expression très démonstrative dont celle qualifiée de “tête de coupable” a donc été sélectionnée par l’Homme.
Au fil de la domestication, les chiens ont également appris à reconnaître très rapidement et avec une extrême précision les expressions humaines. Une autre étude (lien toujours en commentaire) a pu mettre en évidence que les chiens parvenaient particulièrement bien à distinguer une expression de colère d’une expression de joie, l’une associée à du négatif et l’autre à du positif.
Les chiens peuvent donc communiquer avec nous et nous lire très facilement, mais l’inverse est-il aussi vrai ?

C’est donc l’heure de parler des signaux d’apaisement.
Les signaux d’apaisement sont des signaux que va faire le chien pour s’apaiser lui-même (lorsqu’on souffle un bon coup pour se détendre), apaiser le chien ou la personne en face de lui (éviter/désamorcer un conflit ou indiquer qu’il veut une pause) ou lors de rencontre avec un autre chien pour se présenter poliment.
Il peut s’agir de bailler, de regarder du coin de l’oeil (blanc de l’oeil visible, également appelé oeil de baleine), de se lécher la truffe, de se secouer, de tourner la tête, se mettre sur le dos… Notez comme pas mal de ces signaux se retrouvent dans notre fameuse “tête de coupable”.
Je n’ai nommé que les principaux, mais tapez simplement “signaux d’apaisement” sur votre moteur de recherche préféré pour en découvrir toute la complexité.
Tous les chiens font des signaux d’apaisement, peu importe leur éducation ou leur race (le physique de certaines races les rendent cependant plus durs à observer).
Néanmoins, certains chiens ont malheureusement appris que leurs signaux n’étaient jamais écoutés et en font donc moins que les autres. D’autres ont été séparés trop tôt de leur mère et n’ont donc pas appris à les utiliser correctement ou à les repérer chez les autres chiens. Cependant, certains signaux restent des réflexes que le chien ne contrôle pas.
Ces signaux d’apaisement sont très importants à connaître car ils vous préviennent que votre chien se sent mal à l’aise ou est stressé. Les connaître peut donc prévenir des morsures (si le chien est écouté dès les premiers signaux, il n’aura pas besoin de mordre pour s’extirper d’une situation stressante), améliorer votre relation avec votre toutou en lui montrant que vous le comprenez ou mieux gérer les interactions canines en étant capable de voir lorsque votre chien veut stopper le jeu.
Un chien faisant une “tête de coupable” ne se sent donc pas coupable, il cherche juste à apaiser un conflit parce que vous êtes visiblement en colère. Votre énervement, injustifié pour lui, provoque donc du stress et une incompréhension de sa part, ce qui détériore votre relation.

Mais alors, pourquoi certains propriétaire de chiens me disent donc : “je sais qu’il a fait une bêtise avant même de la voir, ça se voit à sa tête” ?
Le chien ne se fait pas encore disputer, pourquoi aurait-il une “tête de coupable” dans ce cas ?
Et bien parce que votre chien a associé les CONSÉQUENCES d’une “bêtise” (poubelle renversée, canapé déchiqueté…) à votre énervement, pas l’ACTION en elle-même.
Pour lui, ce n’est pas le fait de fouiller dans la poubelle qui provoque votre colère, mais le fait qu’elle soit renversée. Ce n’est pas mâchouiller votre magnifique canapé, mais le fait que la mousse soit étalée au sol.
Pour prouver cela, plusieurs études ont été menées et résumées dans un document PDF que vous trouverez dans les commentaires. Je vais cependant résumer deux études (une de 1977 et une de 2009) ici :
– Une chienne prénommée Nicki avait l’habitude de déchiqueter des papiers en l’absence de son maître puis se faisait disputer à son retour pour sa bêtise. Lors de l’étude, il a été demandé au maître de déchiqueter du papier avant son départ et de le mettre dans la même pièce que sa chienne avant de partir. A son retour, Nicki affichait un comportement de chien se sentant coupable alors que ce n’était pas elle qui avait déchiqueté le papier. Elle avait donc associé la PRÉSENCE du papier à la dispute, pas à l’ACTION de la destruction. C’est le fait d’avoir été grondée précédemment qui a créé chez Nicki ce comportement “coupable” face à son maître (une multitude de signaux d’apaisement pour éviter le conflit, comme nous l’avons vu plus haut).
– Dans une seconde étude, il a été demandé aux maîtres de poser de la nourriture sur une table, demander au chien de ne pas y toucher et de quitter la pièce. Certains chiens obéissaient, d’autres non. Au retour du maître, on disait alors si le chien avait respecté leur ordre. Sauf que… On mentait à certains. Des chiens qui avaient obéi étaient alors qualifiés de voleur et étaient disputés. Ils affichaient alors leur “tête de coupable”, prouvant ainsi que c’est bien le fait d’être disputé qui déclenche “l’air coupable” et non pas la désobéissance ou la bêtise commise.
N’hésitez pas à lire le document PDF mis en commentaire pour creuser ce sujet.

Votre chien ne comprend donc pas pourquoi il se fait disputer et effectue des signaux d’apaisement (que l’on qualifie à tort de “tête de coupable”) afin d’apaiser le conflit.
Mais que se passe-t-il si les réprimandes arrivent trop souvent ? Que les signaux d’apaisement ne sont ni compris ni écoutés ?
La punition est une source immense de stress pour nos loulous. Sans en comprendre la raison, ils se font crier dessus, disputer ou isoler. L’incompréhension et la sensation de n’avoir aucun contrôle sur la situation va provoquer du stress, libérant des hormones (cortisol) qui vont augmenter les réactions agressives ainsi que leur intensité.
Certains chiens, naturellement plus résilients et patients, pourront supporter toute leur vie ces attaques incompréhensibles sans jamais se défendre.
Mais pour d’autres, il suffit d’une fois de trop pour que le chien finisse par en avoir marre et se défende. Il s’agira de grognements pouvant aller jusqu’à une morsure.
Outre cela, le stress engendré par les punitions répétées va diminuer la concentration et les capacités d’apprentissage du chien et augmenter sa réactivité. Il passe en mode survie, réagissant plutôt que réfléchissant.
Disputer son chien n’a donc aucun intérêt pédagogique. Cela ne lui apprend rien, le stresse et détériore votre relation.
A la place, c’est à nous d’anticiper, de gérer l’environnement, d’apprendre de nouvelles compétences et comportements alternatifs à son chien et détourner l’attention lors de situations imprévues (voir l’article “non ne veut rien dire” pour développer ce sujet).
“L’air coupable” n’est qu’une construction de notre point de vue humain. Nous donnons des intentions irréelles aux chiens qui ne cherchent qu’à communiquer leur malaise.

Sources :
Muscle expression faciale : https://www.sciencesetavenir.fr/animaux/chiens/chien_134588
Conséquence punition : https://www.demaindemaitre.ca/stress-anxiete-chien-comportement-canin/?fbclid=IwAR2zAXdeGBgWXSbCa__d9mhkn2g1zOPw6ok3lacKYGyMZKKUBEvieKjVb-s
PDF étude sur la culpabilité : http://avarefuge.fr/wp-content/uploads/2017/02/Revue_scientifique_septembre_2012.pdf?fbclid=IwAR0jxZQyyTShahnI8OLXuyK5Nza_k5QiRMqLPNH5MYQ7gM3pfzdugrI9OV8
Les chiens reconnaissent nos expressions : https://www.sciencesetavenir.fr/animaux/les-chiens-distinguent-les-emotions-sur-le-visage-humain_100569
Signaux d’apaisement : https://www.lemondedemaikan.com/post/les-signaux-d-apaisement-cette-communication-incomprise?fbclid=IwAR3BMvecfF03qv1KZavDnwPqteIOqcNBvTck6jLTIbRQkm0Nrz2ZRvr7euM
